Les pérégrinations des quatre cavales de Saint-Marc
Photo : Tteske.
Le groupe de quatre chevaux que vous voyez-là* coiffe l’entrée principale de la basilique de Venise, ville où il fut ramené après que les Vénitiens - associés aux croisés pour l’occasion - aient pris Constantinople de vive force un triste jour de l’an 1204, année sans grâce s’il en fut jamais.
Si l’on attribue souvent la chute de Constantinople aux entreprises de l’Ottoman Fatih Sultan Mehmet, remarquons que ce dernier n’ayant gagné l’épithète de Fatih** qu’après la prise de la Ville, il ne put faire le siège de ladite que sous le titre de Sultan Mehmet tout court, en attendant mieux.
Cela étant dit, les Turcs ne firent jamais que porter le coup de grâce (tient, la revoilà) à un empire moribond, le coup mortel ayant été porté en 1204 par iceux les susnommés, l’auteur de ces lignes évoquant ici - mais vous l’aviez compris n’est-ce pas - les Vénitiens.
Victorieux des Romains d’Orient***, les Vénitiens piquèrent à ces derniers tout un tas de truc depuis les retombées du grand commerce méditerranéen - dont les flux furent réorientés au profit de Venise - jusqu’à ces quatre chevaux de cuivre presque pur qui ornaient jusque-là l’hippodrome de Constantinople.
Remarquons que les Byzantins (je sais ; mais les facilités ont la vie dure) les avaient eux-même chipé quelque part sans que l’on sache bien où. Les érudits en discute avec cette touchante et violente passion qui caractérise les monomaniaques : certains y voient une oeuvre grecque du IVème siècle av. J.-C., pourquoi pas due au talent de Lysippe de Sycione ; d’autres, une oeuvre romaine de huit siècles postérieure due à un artiste anonyme ; d’autres encore une oeuvre hellénistique située entre les deux.
Quoi qu’il en soit de ces subtilités chronologiques, les quatre cavales arrivèrent à Constantinople - attelées à un quadrige - durant la première moitié du Vème siècle après J.-C. alors que régnait l’empereur Théodose II. Enfin, régnait, le verbe est un peu fort rapporté à ce souverain falot, fade et fantoche gouverné par ses femmes et ses eunuques.
Mille trois cents ans plus tard environ, l’histoire recommence quand Bonaparte - qui venait de s’emparer de Venise, nous sommes en 1797 - décida de ramener les quatre chevaux à Paris… d’où les Autrichiens les réexpédièrent à Venise après que Napoléon ait rencontré son destin quelque part au sud de Bruxelles un beau jour (c’est une façon de parler) d’un pluvieux mois de juin de l’an 1815.
Pour ceux qui aiment les chiffres : les chevaux mesurent 1,31 mètres au garrot (2,38 mètres si l’on ajoute la tête) ; ils sont long de 2,52 mètres (avec la queue) et pèsent entre 850 et 900 kilos. Enfin, ils sont composés de près de 97% de cuivre plus un chouillat d’étain et quelques particules de plomb.
*Les originaux se trouvent à l’intérieur de la basilique ; les sculptures à l’extérieur sont des copies.
**Fatih signifie le Victorieux en vf.
*** que nous appelons les Byzantins pour leur dénier une filiation dont nous entendons nous réserver l’exclusivité.